Seaspiracy : des raccourcis, des oublis, pour vendre des applis ?
Seaspiracy fait beaucoup parler, s'inquiéter, questionner. Alors on se l'est tapé. Oui tapé. Car vraiment déçu que la sélection du Festival Pêcheurs du Monde de Lorient, bien plus intéressante, n'ait pas connu la même visibilité.
Une forme malhonnête
On commence par les images du jeune réalisateur, une caméra à la main, essayant de filmer les goélands. Une caméra de haut niveau confiée à un enfant de cinq ans ? Un peu gros non ? Et le bonnet rouge, la marinière rayée bleue, c'est pas un peu trop ? Même nous quand la presse vient nous tirer le portrait on n'est pas aussi lookés. Dès le début on s'est donc méfiés.
Un fond douteux
Viennent ensuite tous les chiffres qui servent à étayer le propos. Beaucoup sont périmés depuis leur parution dans les années 2000. La fameuse échéance de 2048 pour une mer sans poisson a été plusieurs fois revue et démentie, même par son auteur d'origine.
L'exemple des baleines fertilisant les océans par leurs excréments est révélateur. Le film nous fait comprendre que si les baleines meurrent, elles ne fertiliseront plus la surface des mers. Ainsi le phytoplancton, essentiel à la production d'oxygène, ne pourra plus se développer. En allant sur le site vérifier les sources, on nous indique que les baleines aident à fertiliser la surface. Belle nuance par rapport au film.
En vérifiant les sources on trouve deux études qui s'intéressent au cas de l'Océan Austral. Pas à l'ensemble des océans. Basé sur ce cas du pôle Sud, d'une zone avec très peu de fleuves, dont les apports sont ailleurs bien plus importants, le film prend un gros raccourci.
L'exemple du plastique est également fort de café. On nous donne la statistique suivante : 46% du plastique dans le Vortex du Pacifique est constitué d'engins de pêche. En creusant un peu les sources, on comprend que l'étude qui conclut à ce chiffre ne s'intéresse qu'aux plastiques flottants. Et qu'une bonne partie du plastique coule au fond de l'océan. Mais le documentaire nous amène à croire que 46% du plastique dans l'océan vient d'engins de pêche. Basé sur un exemple d'une zone du Pacifique et des plastiques flottants. La généralisation nous semble vraiment facile.
La pêche côtière complètement oubliée
Tous les exemples et beaucoup de statistiques sont basés sur la pêche industrielle. Industrie du thon, pêche des requins, pêche des baleines, la petite pêche côtière n'est jamais évoquée. Ah si, un peu, dans le cas des îles Féroé. Mais on parle alors de mammifères marins, pas de poissons, de coquillages ou de crustacés.
Voilà un point où l'on rejoint le film : à l'échelle mondiale la pêche industrielle est une menace majeure pour les océans. Avec des pratiques vraiment affreuses, pour les animaux marins mais également pour les marins, ceux qui travaillent à bord.
Avant de tout mettre à la poubelle, essayons de la remplacer, par des pratiques à plus petite échelle.
On aurait aimé voir le jeune Ali embarquer sur un petit navire côtier dans son Kent natal, pour aller sur le terrain. Rencontrer une famille de pêcheurs locaux. Ça aurait été plus difficile à mettre en scène que la collecte de plastique avec les bouteilles bien disposées pour la séquence.
Des vendeurs d'applications vegan ?
Autant vous le dire desuite, ils nous a un peu bassiné le jeune Ali, avec son bonnet de hypster et sa chemise d'aventurier quand il débarque en Asie. Ça transpire le militant qui veut protéger les animaux et essaie de nous convaincre par des sources scientifiques mal utilisées. Autant aller droit au but que de tortiller de la nageoire.
Alors on est allé voir sur le site de Seaspiracy. Tout en haut du site, un grand bandeau vert : "Transformez les océans avec notre assistant de repas à base de végéteaux". En arrivant sur le site de Planet based meal planner, on voit que l'application est inspirée de Cowspiracy et Seaspiracy, tous les deux réalisés par les mêmes équipes.
Alors on descend la page, on passe les stats encore gonflées et erronées, et on tombe en pied de page sur le logo de A.U.M Films & Media. Le même que celui vu en début de film. Un peu étrange quand même. On a essayé de fouiller dans les documents des différentes sociétés, on ne trouve pas grand chose de révélateur, à part que ça vaut pas mal de sous. Alors on ne peut pas s'empêcher de se dire que derrière cette science approximative il n'y a pas des intentions plutôt orientées vers la vente de programmes à 14 dollars par mois que vers la préservations des océans.
Arrêter la pêche détruirait les océans ?
Il y a quelques temps, on était à une conférence avec Didier Gascuel, professeur d'halieutique et auteur de Pour une révolution dans la mer. On vous recommande sa lecture.
Sea Sheperd était là aussi, et forcément l'injonction à arrêter de manger du poisson est tombée, sous couvert de sauver les dauphins. Didier, qu'on connaît très modéré habituellement, s'est un peu emporté. Selon lui, passer à un régime 100% végétal aurait de graves conséquences sur les océans. En effet, pour produire toutes ces protéines végétales, il faudrait déforester. L'érosion de terre vers les océans serait alors intensifiée. Tellement intensifiée qu'il pourrait obscurcir l'eau, réduire fortement la pénétration de la lumière et ainsi réduire considérablement le plancton, la base de la chaîne alimentaire. Moins de plancton, c'est moins de poissons et moins de dauphins. On n'a pas trouvé de sources à ce sujet mais on fait plus confiance à Didier qu'à Ali.