La saupe - le poisson qui suscite toutes les curiosités

Les Casiers Poiscaille contiennent parfois de la saupe, un poisson très présent en Méditerrannée, et très mal payé aux pêcheurs. Son prix se mesure plus en centimes qu’en euros.

A chaque débarque de saupe chez Poiscaille, on reçoit au moins une question d’abonné inquiet, au sujet de la dite "toxicité" de ce poisson. L'inquiétude arrive souvent après une brève recherche Google.

En vérifiant, on tombe en effet sur des pages indiquant que le poisson n’est pas comestible car toxique.

S'il ne fallait lire qu'un article, celui de Munchies résume plutôt bien le sujet, sans tomber dans la galéjade sauce Marseillaise. Le passage sur les anglais à la recherche d'expériences récréationnelles avec de la saupe, sans succès, est plutôt rassurant.

Avant d'aller plus loin on note quand même que la commercialisation de la saupe est autorisée en toute légalité, aucune interdiction ni recommandation quant à sa consommation n'existent en Europe.

On a demandé aux pêcheurs de Méditerranée ce qu'ils en disent

Ils en ont pêché et consommé quelques kilos déjà. Didier nous évoque alors ces rares moments où tu peux "pantailler". Mais on est loin de toutes les légendes "hallucinatoires" racontées sur le web.

Continuons les recherches, chez Poiscaille on en a mangé plusieurs fois, cru ou cuit. Jusqu’ici tout va bien. Pour de vrai 🐡

Alors on est allés chercher un peu plus loin et on tombe sur des papiers scientifiques, assez nombreux au final, qui traitent du sujet.

Ce que dit la science

Un médecin de Marseille publie un compte rendu de conférence intéressant, la saupe est évoquée en page 3. On apprend que la toxicité des poissons n'est que ponctuelle, plusieurs semaines au maximum, dans certaines conditions bien spécifiques.

Un document de 1988 évoque un cas d'intoxication à la saupe, en Israël La ciguaterra est évoquée. Il s’agit d’une toxine contenue dans certains planctons et coraux. Présente en zone tropicale, dans les poissons se nourrissant sur les récifs coraliens. Ainsi les gros poissons sont souvent évités par les habitants, les conséquences peuvent être vraiment graves, mortelles parfois.

La proximité avec la Mer Rouge, les grandes étendues peu profondes, favorables au développement du plancton, voilà un bon spot pour une émergence d’algues toxiques. Les saupes consomment des algues, elles peuvent donc véhiculer les toxines de la ciguaterra. Mais entre Toulon et le Sud de l'Israël, difficile de retrouver les mêmes planctons et les mêmes conditions.

Un nouvel article de notre spécialiste Marseillais, décrivant deux cas cliniques en 1994 et 2002. Les conclusions sont assez limitées, indiquant que le phénomène est rare. On apprend que les symptômes (hallucinations suivies d'une légère amnésie) disparaissent rapidement, dans les 24 heures en général.

On trouve enfin une expérience menée en laboratoire, sur des rats, avec des poissons pêchés en automne, en Tunisie, au large de Sfax. Les résultats révèlent que les effets sont nets avec des extraits de foie ou de viscères mais très peu significatifs avec des extraits de chair ou de cerveau. Le point faible de ce papier est qu'il semble expliquer les symptômes par la présence de toxines liées à la ciguaterra, absente sur nos côtes. Elle est présente dans le Sud de la Méditerannée, de par la proximité avec la Mer Rouge et les températures particulièrement élevées qui favorisent le développement des algues pouvant contenir les toxines responsables.

Et sur recommandation d'un abonné on est allé chercher en combinant saupe et Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) pour trouver un seul document, une présentation assez difficile à digérer. On extrait les informations suivantes : pas de toxines retrouvées dans la chair des poissons, elles sont principalement dans les intestins.

On en conclut quoi au final ?

  • que le phénomène semble très saisonnier et soumis à des conditions climatiques peu fréquentes sur nos côtes
  • qu'il faudrait consommer spécifiquement le foie et les viscères des saupes ayant consommé des algues en grande quantité pour être affecté de manière évidente
  • que la chair est la partie la moins susceptible de contenir des toxines
  • qu'au pire on passera une nuit à faire des rêves un peu bizarres et que l'on a peu de chance de s'en souvenir le lendemain

Les pêcheurs qui nous garnissent les Casiers et qui capturent de la saupe pêchent dans le Var, zone où la profondeur est rapidement importante. L'eau y est donc rapidement fraîche, souvent brassée. Il y a très peu d'apport d'eau douce, indispensable au développement du plancton.

Rien a voir avec les conditions du Sud de la Méditerannée où l'on trouve de grandes lagunes peu profondes, parfaites pour les efflorescences planctoniques et donc le développement des algues pouvant contenir les toxines en cause.

Mise à jour avec le retour d'un abonné qui nous a écrit inquiet :

"Bonjour Augustin (notre responsable des appros pêcheurs), j'ai vu votre article sur radio ponton concernant la saupe. Je vous avais eu au téléphone sur le sujet il y a quelques semaines et nous ne regrettons pas de vous avoir fait confiance, nous avons beaucoup apprécié ce poisson. A bientôt, Nicolas"